Dans une décision adoptée à l’été 2024[1] dont Booking.com a fait appel[2], l’Autorité de concurrence espagnole, la CNMC, a infligé à Booking.com une amende record de 413 millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante au détriment des hôtels espagnols entre 2019 et 2024.[3] Elle lui a également adressé des injonctions visant à lui interdire de poursuivre à l’avenir les pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles elle l’a sanctionnée.
Cette décision de la CNMC, accueillie avec enthousiasme par les hôteliers espagnols, peut également être considérée comme doublement bénéfique pour les hôteliers français.
D’une part, la CNMC conclut que les pratiques mises en œuvre par Booking.com en Espagne, et dont l’on relèvera qu’elles sont similaires à celles que Booking.com a mises en œuvre en France, doivent être considérées comme anticoncurrentielles.
D’autre part, la décision de la CNMC facilite l’action en indemnisation des hôteliers français devant les juridictions françaises dans la mesure où ils peuvent se reposer sur cette décision pour établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause et leurs préjudices.
La décision de sanction de la CNMC
Dans un premier temps, la CNMC a constaté dans sa décision la position dominante de Booking.com sur le marché de la réservation en ligne. À cet égard, elle a relevé que Booking.com détenait de 70 à 90 % du marché pendant la période concernée.
Dans un second temps, la CNMC a estimé dans sa décision que Booking.com avait mis en œuvre en particulier trois types de pratiques abusives, compte tenu de sa position dominante sur le marché concerné.
Tout d’abord, Booking.com a imposé aux hôtels une clause de parité tarifaire, de sorte qu’ils ne pouvaient pas offrir de tarifs inférieurs sur leurs propres sites, et ce alors même que Booking.com se réservait le droit de réduire les prix offerts par ces hôtels sur sa plateforme. Cette pratique a conduit à un manque à gagner pour les hôtels.
Ensuite, la CNMC a constaté que Booking.com imposait des conditions contractuelles aux hôteliers qu’elle a considérées comme déloyales, telles que l’obligation de donner son accord à des conditions générales de vente en langue anglaise ou le droit de n’introduire une action contre Booking.com qu’aux Pays-Bas. Cette pratique était de nature à conduire les hôtels, en cas de contentieux avec Booking.com, à supporter des frais de justice supérieurs à ceux qui auraient été les leurs s’ils avaient pu agir devant les tribunaux espagnols.[4]
Enfin, la CNMC a constaté un manque de transparence quant à l’efficacité et à l’impact des programmes « Preferred », « Preferred Plus » et « Genius », qui permettent aux hôteliers, en échange d’une commission plus élevée ou de réductions sur certaines chambres, d’améliorer le positionnement de leur hôtel dans les résultats de recherche sur Booking.com. Cette pratique a conduit les hôtels à payer des commissions à Booking.com sans véritable contrepartie.
La similitude des comportements de Booking.com en Espagne et en France
Il existe de très nombreuses similitudes dans le comportement de Booking.com vis-à-vis des hôteliers espagnols ayant conduit la CNMC à le sanctionner avec celui qu’il a mis en œuvre en France.
Premièrement, les parts de marché de Booking.com en France étaient similaires à celles observées en Espagne durant la période concernée par les pratiques sanctionnées. En effet, en comme en Espagne, Booking.com détenait en Europe une part de marché de 60 %.[5]
Deuxièmement, les pratiques sanctionnées par la CNMC énumérées ci-dessous sont similaires à celles que les hôteliers français ont subies.
Tout d’abord, si Booking.com n’impose plus en France explicitement des clauses de parité tarifaire depuis la Loi de 2017, il n’en demeure pas moins qu’il a imposé de telles clauses déguisées dans le cadre de l’application de son programme « BSB ».
Ensuite, s’agissant des conditions contractuelles considérées comme déloyales, telles que le droit d’agir uniquement devant les juridictions néerlandaises en cas de contentieux avec Booking.com, celles-ci étaient également imposées aux hôteliers français.
Enfin, pour ce qui est du manque de transparence quant à l’efficacité et à l’impact des programmes « Preferred », « Preferred Plus » et « Genius », les hôteliers français étaient dans la même situation que les hôteliers espagnols à cet égard.
Ces similitudes de comportement de Booking.com vis-à-vis des hôteliers espagnols et français tendent à établir que les pratiques mises en œuvre par Booking.com en France sont également anticoncurrentielles.
Les effets de la décision de la CNMC pour les hôteliers français
La décision de la CNMC contribue à établir le droit des hôteliers français à demander une indemnisation devant les juridictions françaises pour les préjudices que les pratiques anticoncurrentielles de Booking.com leur ont causées.
Tout d’abord, dans sa décision, la CNMC a sanctionné, sur la base non seulement de son droit national mais également du droit de l’Union européenne, un abus de position dominante affectant la concurrence sur le marché intérieur.
Ensuite, selon le droit de l’Union européenne, une décision d’une autorité de concurrence étrangère peut être utilisée comme un élément de preuve, devant les juridictions nationales, pour établir qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise également sur ce territoire.[6]
En conclusion, la sanction de Booking.com en Espagne pour abus de position dominante contribue à établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause également en France. Elle justifie pleinement l’action collective en indemnisation que les hôteliers français sont en droit d’introduire afin d’obtenir réparation de leurs préjudices liés aux pratiques abusives de Booking.com.
[1] Décision S/0005/21 – BOOKING, 29 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[2] La Audiencia Nacional suspende la multa de 413 millones que impuso la CNMC a Booking por abuso de dominio, 7 mars 2025, Carlos Molina et Nuria Mocrillo, Cinco Dias, Disponible ici.
[3] La CNMC multa a Booking.com con 413,24 millones por abusar de su posición de dominio durante los últimos 5 años, 30 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[4] Décision S/0005/21 – BOOKING, 29 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[5] La Commission européenne frappe fort en bloquant le rachat de eTraveli par Booking : une révolution dans la régulation des fusions non horizontales, Virna Rizzo, Avocate, Cohen Amir-Aslani, 11 octobre 2023, Le Monde du droit, Disponible ici
[6] Article 9 de la Directive 2014/104/UE