Les clauses de parité étendue ou restreinte de Booking.com définitivement interdites dans toute l’Europe
Le 19 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a statué que les clauses de parité tarifaire, qu’elles soient étendues ou restreintes, insérées dans les contrats entre les plateformes de réservation en ligne, comme Booking.com, et les hôteliers, sont incompatibles avec le droit de la concurrence de l’UE.
Les clauses de parité étendue interdisaient aux hôteliers de proposer des tarifs inférieurs à ceux affichés sur Booking.com, quel que soit le canal de vente. La France, avec la loi Macron de 2015, ainsi que l’Italie et la Suède, avaient déjà interdit ces clauses. En réponse, Booking.com avait introduit des clauses de parité restreinte, empêchant les hôteliers de proposer des prix plus bas sur leurs propres canaux de vente, tout en autorisant des tarifs inférieurs sur d’autres plateformes.
La CJUE a conclu que ces clauses, qu’elles soient étendues ou restreintes, ne sont ni nécessaires ni proportionnées, et qu’elles restreignent la concurrence en limitant la capacité des hôteliers à fixer librement leurs prix. Cette décision a des implications significatives pour les pratiques contractuelles des plateformes de réservation en ligne à travers l’Europe.
Booking.com : la Cour de justice de l’Union européenne interdit les clauses de parité tarifaire
Le 19 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt déclarant illégales les clauses de parité tarifaire imposées par les plateformes de réservation en ligne, telles que Booking.com, aux hôteliers. Ces clauses interdisaient aux hôtels de proposer des tarifs inférieurs sur leurs propres sites web ou sur des plateformes concurrentes. La CJUE a jugé que ces clauses, qu’elles soient « étendues » (couvrant tous les canaux de vente) ou « restreintes » (limitées au site de l’hôtel), restreignent la concurrence et sont donc interdites dans toute l’Union européenne.
En France, ces clauses étaient déjà interdites depuis la loi Macron de 2015. Cependant, Booking.com aurait continué à utiliser des clauses de parité « déguisées » via ses programmes préférentiels, obligeant les hôteliers à maintenir une parité tarifaire pour bénéficier d’une meilleure visibilité sur la plateforme. Ces pratiques sont également considérées comme anticoncurrentielles.
Les hôteliers affectés par ces pratiques disposent de recours, notamment en saisissant l’Autorité de la concurrence ou les tribunaux pour faire valoir leurs droits et obtenir réparation pour le manque à gagner subi. Ils peuvent engager des actions individuelles ou collectives, éventuellement soutenues par des sociétés de financement de litiges, sans avoir à avancer de frais.
La désignation de Booking.com en tant que « contrôleur d’accès » par la Commission européenne
La plateforme de réservation en ligne Booking.com occupe une position dominante sur le marché de la réservation en ligne de chambres d’hôtels dans l’Union européenne.
En application de son nouveau Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act ou « DMA »)[1], la Commission européenne a désigné Booking.com comme étant un « contrôleur d’accès » sur Internet.
Cette désignation a des implications majeures sur les pratiques commerciales de Booking.com et constitue une étape importante pour encadrer son comportement sur le marché. Elle bénéficie aux hôteliers, d’une part, en leur offrant une protection accrue contre les pratiques anticoncurrentielles de Booking.com et, d’autre part, en rendant particulièrement complexe toute éventuelle mesure de rétorsion qu’elle chercherait à prendre contre les hôteliers qui décideraient d’agir en indemnisation contre elle.
Qu’est-ce que le DMA ?
Le DMA est un règlement européen qui impose des obligations spécifiques aux grandes plateformes numériques, désignées par la Commission européenne en tant que « contrôleurs d’accès ». [2]
Ces contrôleurs d’accès contrôlent des services essentiels sur Internet tels que des moteurs de recherche, des réseaux sociaux ou des boutiques d’applications, et sont en mesure, en raison de leur position dominante, d’adopter des comportements anticoncurrentiels qui nuisent tant aux autres entreprises qu’aux consommateurs.
Le DMA vise précisément à prévenir ces comportements anticoncurrentiels.
À ce jour, la Commission européenne a désigné en tant que contrôleurs d’accès, en plus de Booking.com, Alphabet (société mère de Google), Apple et son iPadOS, ByteDance (propriétaire de TikTok), Meta (Facebook), Microsoft et Amazon.
Quelles obligations pour Booking.com au titre du DMA ?
En tant que « contrôleur d’accès », Booking.com se voit imposer plusieurs obligations en vertu du DMA.
En particulier, Booking.com a l’interdiction :
- d’imposer des clauses de parité tarifaire qui interdisent aux hôteliers de proposer leurs services à des prix plus bas sur d’autres plateformes ou sur leur propre site web ;[3] et
- de discriminer les hôtels qui choisissent de ne pas participer à ses programmes préférentiels, en réduisant leur visibilité sur la plateforme ou en limitant leur promotion.[4]
La Commission européenne est l’autorité chargée de s’assurer que Booking.com respecte les règles du DMA.
À cette fin, premièrement, la Commission européenne dispose de pouvoirs d’enquête, de coercition et de contrôle des contrôleurs d’accès.[5] Dans ce cadre, elle pourrait ainsi ouvrir une enquête sur Booking.com afin d’établir si cette dernière impose des clauses contraignant les hôtels à lui réserver un traitement favorable par rapport à ses concurrents.
Deuxièmement, en cas d’infraction, la Commission européenne dispose du pouvoir d’imposer des amendes pouvant atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de Booking.com. Compte tenu de leur importance, ces amendes jouent un rôle avant tout dissuasif.[6]
Pourquoi le DMA profite-t-il aux hôteliers qui souhaitent agir en indemnisation ?
Comme mentionné ci-dessus, Booking.com fait désormais l’objet d’un contrôle spécifique de la part de la Commission européenne en raison de sa désignation en tant que « contrôleur d’accès » dans le cadre du DMA.
Toute mesure de rétorsion que Booking.com prendrait serait alors sans nul doute détectée par la Commission européenne, et pourrait donner lieu à des sanctions.
La désignation de Booking.com comme contrôleur d’accès contribue donc, en plus du fait que des milliers d’hôteliers ont décidé d’agir en même temps en indemnisation contre elle, à rendre plus qu’improbable toute éventuelle mesure de rétorsion que Booking.com aurait pu envisager de prendre à leur égard.
En conclusion, le DMA, tout comme les différentes décisions adoptées contre Booking.com par la Cour de justice de l’Union européenne et des autorités espagnole et italienne de concurrence, bénéficie sans aucun doute aux hôteliers français.
[1] Voir, en ce sens, le résumé de la décision de la Commission européenne du 13 mai 2024, disponible ici.
[1] Pour le texte intégral du DMA, voir ici.
[2] Pour le texte intégral du DMA, voir ici.
[3] Article 5(3) du DMA.
[4] Article 5(4) du DMA.
[5] Articles 20 et suivants du DMA.
[6] Article 30 du DMA.
La sanction par l’Autorité de concurrence espagnole des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par Booking.com en Espagne
Dans une décision adoptée à l’été 2024[1] dont Booking.com a fait appel[2], l’Autorité de concurrence espagnole, la CNMC, a infligé à Booking.com une amende record de 413 millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante au détriment des hôtels espagnols entre 2019 et 2024.[3] Elle lui a également adressé des injonctions visant à lui interdire de poursuivre à l’avenir les pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles elle l’a sanctionnée.
Cette décision de la CNMC, accueillie avec enthousiasme par les hôteliers espagnols, peut également être considérée comme doublement bénéfique pour les hôteliers français.
D’une part, la CNMC conclut que les pratiques mises en œuvre par Booking.com en Espagne, et dont l’on relèvera qu’elles sont similaires à celles que Booking.com a mises en œuvre en France, doivent être considérées comme anticoncurrentielles.
D’autre part, la décision de la CNMC facilite l’action en indemnisation des hôteliers français devant les juridictions françaises dans la mesure où ils peuvent se reposer sur cette décision pour établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause et leurs préjudices.
La décision de sanction de la CNMC
Dans un premier temps, la CNMC a constaté dans sa décision la position dominante de Booking.com sur le marché de la réservation en ligne. À cet égard, elle a relevé que Booking.com détenait de 70 à 90 % du marché pendant la période concernée.
Dans un second temps, la CNMC a estimé dans sa décision que Booking.com avait mis en œuvre en particulier trois types de pratiques abusives, compte tenu de sa position dominante sur le marché concerné.
Tout d’abord, Booking.com a imposé aux hôtels une clause de parité tarifaire, de sorte qu’ils ne pouvaient pas offrir de tarifs inférieurs sur leurs propres sites, et ce alors même que Booking.com se réservait le droit de réduire les prix offerts par ces hôtels sur sa plateforme. Cette pratique a conduit à un manque à gagner pour les hôtels.
Ensuite, la CNMC a constaté que Booking.com imposait des conditions contractuelles aux hôteliers qu’elle a considérées comme déloyales, telles que l’obligation de donner son accord à des conditions générales de vente en langue anglaise ou le droit de n’introduire une action contre Booking.com qu’aux Pays-Bas. Cette pratique était de nature à conduire les hôtels, en cas de contentieux avec Booking.com, à supporter des frais de justice supérieurs à ceux qui auraient été les leurs s’ils avaient pu agir devant les tribunaux espagnols.[4]
Enfin, la CNMC a constaté un manque de transparence quant à l’efficacité et à l’impact des programmes « Preferred », « Preferred Plus » et « Genius », qui permettent aux hôteliers, en échange d’une commission plus élevée ou de réductions sur certaines chambres, d’améliorer le positionnement de leur hôtel dans les résultats de recherche sur Booking.com. Cette pratique a conduit les hôtels à payer des commissions à Booking.com sans véritable contrepartie.
La similitude des comportements de Booking.com en Espagne et en France
Il existe de très nombreuses similitudes dans le comportement de Booking.com vis-à-vis des hôteliers espagnols ayant conduit la CNMC à le sanctionner avec celui qu’il a mis en œuvre en France.
Premièrement, les parts de marché de Booking.com en France étaient similaires à celles observées en Espagne durant la période concernée par les pratiques sanctionnées. En effet, en comme en Espagne, Booking.com détenait en Europe une part de marché de 60 %.[5]
Deuxièmement, les pratiques sanctionnées par la CNMC énumérées ci-dessous sont similaires à celles que les hôteliers français ont subies.
Tout d’abord, si Booking.com n’impose plus en France explicitement des clauses de parité tarifaire depuis la Loi de 2017, il n’en demeure pas moins qu’il a imposé de telles clauses déguisées dans le cadre de l’application de son programme « BSB ».
Ensuite, s’agissant des conditions contractuelles considérées comme déloyales, telles que le droit d’agir uniquement devant les juridictions néerlandaises en cas de contentieux avec Booking.com, celles-ci étaient également imposées aux hôteliers français.
Enfin, pour ce qui est du manque de transparence quant à l’efficacité et à l’impact des programmes « Preferred », « Preferred Plus » et « Genius », les hôteliers français étaient dans la même situation que les hôteliers espagnols à cet égard.
Ces similitudes de comportement de Booking.com vis-à-vis des hôteliers espagnols et français tendent à établir que les pratiques mises en œuvre par Booking.com en France sont également anticoncurrentielles.
Les effets de la décision de la CNMC pour les hôteliers français
La décision de la CNMC contribue à établir le droit des hôteliers français à demander une indemnisation devant les juridictions françaises pour les préjudices que les pratiques anticoncurrentielles de Booking.com leur ont causées.
Tout d’abord, dans sa décision, la CNMC a sanctionné, sur la base non seulement de son droit national mais également du droit de l’Union européenne, un abus de position dominante affectant la concurrence sur le marché intérieur.
Ensuite, selon le droit de l’Union européenne, une décision d’une autorité de concurrence étrangère peut être utilisée comme un élément de preuve, devant les juridictions nationales, pour établir qu’une infraction au droit de la concurrence a été commise également sur ce territoire.[6]
En conclusion, la sanction de Booking.com en Espagne pour abus de position dominante contribue à établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause également en France. Elle justifie pleinement l’action collective en indemnisation que les hôteliers français sont en droit d’introduire afin d’obtenir réparation de leurs préjudices liés aux pratiques abusives de Booking.com.
[1] Décision S/0005/21 – BOOKING, 29 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[2] La Audiencia Nacional suspende la multa de 413 millones que impuso la CNMC a Booking por abuso de dominio, 7 mars 2025, Carlos Molina et Nuria Mocrillo, Cinco Dias, Disponible ici.
[3] La CNMC multa a Booking.com con 413,24 millones por abusar de su posición de dominio durante los últimos 5 años, 30 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[4] Décision S/0005/21 – BOOKING, 29 juillet 2024, CNMC, Disponible ici
[5] La Commission européenne frappe fort en bloquant le rachat de eTraveli par Booking : une révolution dans la régulation des fusions non horizontales, Virna Rizzo, Avocate, Cohen Amir-Aslani, 11 octobre 2023, Le Monde du droit, Disponible ici
[6] Article 9 de la Directive 2014/104/UE